3. Et visum, est aliud signum in cœlo : et ecce draco magnus rufus, habens capita septem, et cornua decem : et in capitibus ejus diademata septem:
4. Et cauda ejus trahebat tertiam partem stellarum cœli, et misit eas in terram: et draco stetit ante mulierem, quae erat paritura; ut cum peperisset, filium ejus devoraret.
5. Et peperit filium masculum, qui recturus erat omnes gentes in virgà ferreâ, et raptus est filius ejus ad Deum, et ad thronum ejus. CROWE, ET CAVALCASELLE. Les anciens peintres flamands, t. II, p. 123 et suiv. Bruges - en flamand Brugge - signifie pont. Nous avons compulsé aux archives communales d'Enghien les Comptes de l’hôpital S. Nicolas de cette ville de 1400 à 1425. Au commencement du XVème siècle, la chapelle était en fort mauvais état: on y remit successivement des portes, des fenêtres, neuf cents "lattes de rivage pour couvrir", etc.
Un Triptyque attribué aux Frères Van Eyck
Bosmans J.
ANNALES DU CERCLE ARCHEOLOGIQUE D'ENGHIEN, T. 1, 1880, pp. 225-259.
Le triptyque, dont nous allons nous occuper se trouvait autrefois à l’ancien hôpital d'Enghien, dans une chambre contiguë à la chapelle des malades.
Lors du transfert de cet établissement, on décida de vendre les objets qui ne trouvaient pas leur emploi dans les nouveaux locaux, et notre tableau fut classé dans cette catégorie.
Il semble que, par une sorte de fatalité, toutes les œuvres de notre ancienne école flamande doivent être successivement soumises à cette humiliation.
En 1802, les volets de l’ancien autel de S. Pierre de la Collégiale de Louvain, œuvre de Jean Rombauts, élève de Thierry Bouts, furent vendus avec des objets de rebut !
En 1814 et pendant les années suivantes, les tableaux de ce dernier maître, placés dans la salle de réunion de la Garde bourgeoise de la même ville servaient à recevoir les ordres du jour de la milice citoyenne !
En 1823, les volets de l’Adoration de l’Agneau mystique de Gand furent vendus par l’Administrateur de ce diocèse comme étant parfaitement inutiles au panneau central !
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En 1825, la Descente de croix de Rogier van der Weyden fut exposée en vente à Louvain avec un lot de vieilles planches !
Le 11 juin 1880, notre triptyque fut vendu avec d'anciennes tapisseries et cent seize autres objets à M. Jean Reuse-Leroy, artiste sculpteur et directeur de l’école de dessin d'Enghien.
Le 24 février de l’année suivante, M. Reuse m'invita à visiter sa collection de tableaux. La vue du triptyque me frappa vivement : j'y reconnus de suite l’inspiration et la touche d'un maître. Je demandai la permission d'étudier à loisir l’objet de mon admiration et la chose me fut très gracieusement accordée par le propriétaire.
Ce sont les résultats de cette étude, souvent interrompue par d'autres travaux, que je me fais un devoir d'exposer à mes collègues.
A eux de juger si mes recherches ont été consciencieuses, si mes arguments sont solides, et si ma conclusion est légitime.
Cette conclusion, la voici: LE TRIPTYQUE QUI NOUS OCCUPE, EST L’OEUVRE DES FRÈRES VAN EYCK.
Avant de décrire notre tableau et avant de le comparer aux autres productions des deux frères et de la vieille école flamande, je pense qu'il sera utile de dire quelques mots des van Eyck. C'est par là que je commence sans autre préambule.
La famille van Eyck est originaire de la ville de Maeseyck, primitivement appelée Alden-Eyck ou Vieux-Chène (1). l’étude de la peinture y était en honneur dès les temps les plus reculés, puisqu'on y signale déjà au VIIIème siècle une abbaye renommée pour les travaux calligraphiques de ses moines (2).
Il est probable que la vue des miniatures de ces anciens enlumineurs, révéla à Hubert van Eyck sa vocation. Il est même possible qu'il apprit d'eux les premiers principes de son art.
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Le poème de Perceval par Wolfram von Eschenbach, qui vivait au commencement du XIIIème siècle, nous apprend que, dès cette époque, la peinture florissait à Maestricht, située à peu de distance de Maeseyck :
AIs üns die Aventiure gicht Von Chôlne noch von Mastricht Decbein sciltere entwürf en baz Denn' aIs er ûfem orse saz.
On croit qu'Hubert quitta Maeseyck pour se faire recevoir dans une corporation de Liége. C'est là qu'il aurait appris la technique orientale et le sentiment majestueux des Byzantins qu'avait apportés dans la cité épiscopale le peintre Jean, appelé d'Orient par l’empereur Othon III à la fin du Xème ou au commencement du XIème siècle (3).
A Liége aussi habitait, au temps des van Eyck, le fameux sculpteur Hennequin dont les œuvres ont pu influencer l’imagination de nos peintres.
A la même époque, Bruges était la métropole commerciale du Nord. Æneas Sylvius mettait cette ville parmi les trois plus belles du monde (4). Quand le luxe matériel est parvenu à ses dernières limites, on ne saurait l’augmenter qu'en y joignant le luxe intellectuel (5).
Appelé par l’orgueil même des bourgeois, Hubert s'établit dans la fastueuse cité, et y amena ses frères Jean et Lambert et sa œur Marguerite.
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Le génie de la peinture, comme le remarque van Mander; semble avoir inspiré toute cette famille.
Marguerite van Eyck, pleine de l’enthousiasme auquel le talent doit sa puissance, ne permit pas que les penchants vulgaires vinssent troubler son cœur et sa pensée, et résolut de demeurer vierge. Son art fut le cloître où elle s'enferma pour goûter dans la solitude les jouissances de l’esprit (6).
Lambert van Eyck fut employé, paraît-il, par les ducs de Bourgogne à peindre des tableaux d'histoire (7).
Jean van Eyck fut l’élève et devint le collaborateur d'Hubert (8).
Il paraît avoir eu, comme Rubens, des talents diplomatiques:
Philippe-le-Bon l’envoya en mission en 1431,1434 et 1436 (9).
Hubert et Jean appliquèrent la peinture à l’huile aux tableaux proprement dits. Cette invention est attribuée à Hubert seul par MM. Cornelissen, le Dr. Waagen, L. de Bast, Hotho, etc., et à Jean seul par Facius, Opmeer, Sanderus, Vasari, van Vaernewyck, etc.
Ce qui est certain, c'est qu'avant les van Eyck, l’huile de lin n'entrait pas dans la composition des couleurs, mais seulement dans celle du vernis que l’on étendait sur les peintures à la gomme et au blanc d'œuf.
Une question, aussi difficile à résoudre qu'importante pour notre travail, est celle de savoir en quelle année les van Eyck quittèrent Bruges et se fixèrent à Gand.
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D'après le P. Opmeer (10) et Liévin de Bast, ce fut en 1410, d'après le chanoine Carton, en 1412 (11), d'après M. Siret, vers 1422, d'après M. James Weale, ce ne fut pas avant 1421 (12).
Nous pensons comme lui.
Hubert mourut à Gand le 18 septembre 1426 (13) après sa sœur Marguerite (14), et Jean décéda à Bruges le 9 juillet 1440 (15).
Hubert était supérieur à Jean par les qualités qui font le grand peintre: le génie créateur, le sentiment de la beauté idéale et un style noble et pur dans l’ordonnance des draperies. Leurs contemporains étaient de cet avis lorsqu'ils firent à l'aîné des van Eyck l’honneur d'exposer son bras à la vénération du public dans l’église même qui contenait ses restes.
Jean lui-même avoue, deux fois la supériorité de son frère dans cette inscription du tableau de Gand:
Pictor Hubertus e Eyck, major quo nemo repertus, Incepit ; pondusque Joannes, arte secundus, Perfecit laetus, Judoci Vijd prece fretus.
Mais, par contre, Jean paraît supérieur à Hubert par les qualités de la main, de sorte que, pour être tout à fait juste, on doit confondre les deux frères dans un éloge commun et répéter ces paroles de Léopold I au président du Comité de l’Exposition de Cartons de Bruxelles: «Les frères van Eyck étaient des maîtres ! Si chez eux la ligne avait un peu de raideur, un peu de sécheresse, quelle puissance, quelle magie de couleur ! Quelle naïveté et quelle justesse d'expression! »
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I
Ce triptyque est véritablement une œuvre pensée. C'est tout un poème en quatre pages, et le sujet de ce poème est l’un des plus vastes et des plus sublimes qu'il soit possible d'entreprendre: LA RÉDEMPTION.
l’extérieur des volets nous offre l’Annonciation, ou la Rédemption commencée.
Sur le tableau central se trouve représenté l’Ensevelissement du Christ, ou la Rédemption achevée.
Sur le vantail droit, nous trouvons la mission de S. Jacques le Majeur en Espagne, ou la Rédemption continuée par la prédication jusqu'aux extrémités du monde.
Et sur le vantail gauche est retracée la Vision du Dragon de l’Apocalypse ou la Rédemption continuée par l’église à travers les siècles.
C'est le cercle entier de la réhabilitation de l’humanité! C'est la préface des triptyques de Dantzig et de Gand: après la Rédemption, on arrive logiquement au Jugement et au Triomphe éternel !
Le triptyque d'Enghien mesure 1 mètre 12 centimètres de hauteur sur 1 mètre 54 centimètres de largeur. La largeur du panneau central est de 75 centimètres 5 millimètres et celle des vantaux est de 38 centimètres et 5 millimètres.
Le cadre primitif a été conservé, il est de style gothique du XVème siècle. Le profil de la moulure se compose d'un creux d'un quart de cercle, bordé d'un talus du côté du tableau et d'une plate-bande de l’autre, A l’extérieur, il simule du marbre rougeâtre à veines de couleur foncée. A l’intérieur, il était primitivement
entièrement doré, mais, dans la suite, on a couvert de couleur noire la plate-bande.
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EXTÉRIEUR DES VOLETS.
L’Annonciation est traitée en grisaille, sous forme de statues.
La Vierge et l’Archange occupent chacun un volet, mais sont censés se trouver dans la même niche gothique, d'un gris foncé allant presque jusqu'au noir dans les enfoncements.
La Vierge, porte un premier vêtement, échancré en cœur sur la poitrine, à manches étroites. Au-dessus, une robe longue à manches très larges, et sur l’épaule gauche, un manteau aux plis nobles et purs. La tête est légèrement inclinée sur l’épaule droite. Les cheveux, partagés au milieu du front, descendent en boucles sur les épaules. Les yeux, presque fermés sont tournés du côté de l’Ange. La main droite repose sur le cœur, et dans la gauche se trouve un livre fermé. Les traits du visage rappellent ceux de Marguerite van Eyck.
Cette Vierge est belle de douceur, d'intelligence et de chasteté.
L'Archange Gabriel est vêtu d'une tunique à manches larges et à plis flottants, serrée à la ceinture par un cordon, et ouverte sur le côté. La main droite est tournée vers la Vierge, tandis que la gauche soutient sur l'épaule une masse d'armes. Les ailes sont soulevées. Les cheveux retombent en boucles. Les draperies sont soutenues par la colonne d'air qu'il a pressée en descendant.
La tête, loin d'être belle a une expression triviale: les traits sont vulgaires, le regard est terne et prosaïque.
On retrouve celte étrange particularité dans le même personnage des triptyques de Dresde et de Beaune. Pour l’expliquer, nous ne pensons pas, comme M. Michiels (16), qu'il faille attribuer ces têtes au pinceau de Pierre Cristus, mais nous croyons qu'en donnant à l’Archange cette expression presque hébétée, nos peintres ont voulu marquer davantage son caractère de simple messager.
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Un cierge de cire jaune est fixé au bord de la niche entre la Vierge et l’Archange.
TABLEAU CENTRAL.
Le tableau central représente l’Ensevelissement du Christ. La scène se passe vers le soir (17). Le Sauveur est étendu sanglant, au pied de la croix, sur un linceul; on lui a ôté la couronne d'épines qui a laissé de profondes meurtrissures sur son front. Le buste est soulevé et tourné quelque peu vers le spectateur. Les cheveux et la barbe sont d'un brun foncé. La tête est entourée d'une auréole crucifère à rayons d'or (18).
Au centre de la composition, la Ste Vierge, les bras pendants, les mains croisées et le corps penché en avant est agenouillée à côté du cadavre de son Fils. Elle est coiffée d'une mantille byzantine de lin à bords ondulés et vêtue d'un vaste manteau vert-foncé ourlé de fleurons d'or. Elle a une auréole d'or avec irradiations.
Derrière la Vierge, Marie Madeleine, abîmée de douleur, contemple le divin Crucifié. Elle porte une robe de velours noir bordée de velours brun, fortement échancrée sur la poitrine. La chemise est fermée sur le devant par un cordon noir. Un vaste manteau gris est jeté sur les épaules. l’on aperçoit à peine ses cheveux bruns sous la templette de gaze, rattachée sous le menton et descendant sur la poitrine. Par dessus la templeite se trouve une cornette ornée de filigranes d'or et un turban de soie amaranthe.
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Les traits du visage rappellent ceux de Marguerite van Eyck, comme dans la Vierge de l’Annonciation.
Marie de Cléophas est vêtue d'une robe de brocart d'or à ramages bruns, ourlée de velours noir garni de perles au col et aux manches. A mi-bras naissent des banderolles de velours noir qui flottent sur des manches étroites de soie vert-pâle. La robe, fortement échancrée, laisse apercevoir sur la poitrine une pièce d'étoffe rose et la chemise bordée de mouchetures d'hermine orange. Sa taille est ceinte d'un cordon d'or terminé par un gland.
Une cornette ornée de filigranes d'or et doublée d'étoffe rouge est posée sur une templette de gaze, qui laisse apercevoir les cheveux roux d'une nuance admirable. Un collier d'or, richement travaillé, vient compléter ce costume splendide.
La main droite porte aux yeux un mouchoir de toile fine pendant que la gauche présente à Nicodème un vase à parfums de grès grisâtre orné d'émaux verts.
Marie Salomé ne le cède pas en luxe à Marie de Cléophas. Sa robe de brocart d'or à grandes fleurs pourpres est garnie au bas d'une large bande de drap d'or chargée de losanges de perles et bordée de velours noir émaillé de perles.
Le corsage entr'ouvert est ourlé de velours noir, orné d'une broderie d'or en losanges. Les manches étroites sont d'un pourpre foncé. La ceinture de soie verte est terminée par des fuseaux d'or ciselé sur les épaules est jeté un manteau rouge cinabre.
Une coiffe de gaze à longs plis flottants laisse deviner des cheveux châtains. Au-dessus de cette coiffe est placée une cornette ornée de filigranes d'or et doublée de velours noir.
Les mains sont jointes par le bout des doigts et tout le corps est penché vers les restes inanimés du Christ.
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S. Jean porte un manteau amaranthe ourlé de fleurons d'or sur une tunique rouge cinabre. Ses cheveux, d'un brun châtain, sont divisés par le milieu de la tête. La main gauche est placée sur le cœur. Une auréole d'or rappelle la sainteté du personnage.
Nicodème est agenouillé aux pieds du Christ. Il est vêtu d'une tunique vert foncé, ornée au-dessus du genou d'une large bande d'étoffe brune bordée d'or et enrichie d'ornements en perles. Les manches bouffantes s'arrêtent au coude pour donner naissance à des manches étroites de drap d'or à ramages noirs ourlées de perles. Le manteau à camail et à vaste capuchon est en étoffe amaranthe doublée de martre ; il est ouvert sur le côté et attaché à la hauteur de la ceinture par un médaillon d'or. Le camail est bordé de martre.
Les hauts-de-chausses, vert foncé poussant au noir, entrent dans des boites à revers en cuir jaune.
La tête, presque chauve, est belle de caractère.
La main gauche soutient le pied gauche du Sauveur, tandis que la droite prend dans le vase à parfums, au moyen d'une petite cuiller noire, de l’onguent de myrrhe et d'aloès (19).
Joseph d'Arimathie, agenouillé derrière le Christ, est habillé d'une ample tunique vert-cinabre à fleurs d'or. Les manches sont découpées en arcades à la hauteur du coude et bordées d'une bande brune, garnie d'un rang de perles entre deux filets d'or. De larges manches en soie amaranthe à reflets orangés se prolongent jusqu'aux mains.
Sur cette tunique se déroule un splendide manteau de brocart d'or à grandes fleurs brunes, bordé de perles, doublé de martre et attaché au moyen d'une agrafe d'or ciselé.
Le camail est également de martre. Une pièce de velours noir couvre la poitrine.
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L’opulent décurion est coiffé d'un grand chaperon à pattes amaranthe, sommé d'un bouton à franges d'or et garni sur les bords de perles, de dessins en velours noir et d'une broderie d'or. Une bande d'étoffe brune ornée d'une rosace d'or cache le front. Les yeux sont gris, et la barbe est brune.
La main droite est placée sous l’aisselle droite du Christ et la main gauche soutient la tête du Crucifié.
La scène se passe sur le Calvaire, au pied des trois instruments des supplices dont le bois de couleur foncée est maculé de sang. Dans la montagne couverte de chênes rabougris, de hêtres, de genêts, de myrtilles et de fougères, qui occupe le côté droit du tableau, on aperçoit le Saint-Sépulcre. Toute cette partie est peinte dans des tons verts et brun-rougeâtres.
A travers une gorge de montagne, on découvre à gauche la campagne traversée par le Cédron sur lequel est jeté un pont, et dans le fond, la ville de Jérusalem, qui a toutes les apparences d'un vieux château féodal du XIIIème siècle avec ses hautes murailles, ses tours énormes et ses herses.
Derrière Jérusalem, aux tons gris verdâtres, on aperçoit des montagnes qui fuient à l’horizon.
Mentionnons aussi un coléoptère que l’on trouve au premier plan, à droite, entre une fougère et un genêt.
VOLET DROIT.
Nos peintres ont pris pour thème de ce tableau ce passage de I'Apocalypse : (20) "Il parut un grand prodige dans le ciel: une femme revêtue du soleil, qui avait la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête."
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"Et un autre prodige parut dans le ciel : un grand dragon, roux à sept têtes et à dix cornes : et sur ses tètes sept diadèmes.
Et sa queue entraînait le tiers des étoiles du ciel, et il les fit tomber sur la terre : et le dragon s'arrêta devant la femme qui devait enfanter pour dévorer son fils aussitôt qu'elle en serait, délivrée.
Et elle enfanta un enfant mâle qui devait gouverner toutes les nations avec une verge de fer et son fils fut enlevé vers Dieu et vers son trône. "
La femme porte une robe et un manteau d'un vert foncé. Ses cheveux blonds s'échappent d'une couronne de couleur brune à sept fleurons et flottent sur ses épaules. Ses bras, élèvent un enfant aux cheveux blonds. Elle est assise au milieu d'un soleil à rayons d'or sur fond jaune de deux teintes, au centre et rose aux extrémités.
Un bras couvert d'une manche vert-foncé sort d'un nuage et saisit le bras droit de l’enfant.
Le dragon plane entre la femme et la terre. La tête principale, sommée de six têtes plus petites, a un aspect horrible. Chaque tête porte une couronne à quatre fleurons. A l’une des couronnes un fleuron se termine en épée. Des ailes de chauve-souris, deux pattes énormes armées d'ongles crochus, et une queue se prolongeant jusqu'aux étoiles complètent le monstre.
Le corps est d'un brun rougeàtre. La poitrine, le dessous des ailes et de la queue sont d'un roux foncé; les têtes, les yeux et les pattes, d'un brun foncé.
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S. Jean, vêtu comme dans le tableau central, est assis au premier plan sur des rochers grisâtres et contemple la vision. Sa main droite, levée vers le ciel, tient une plume d'oie; la main gauche est posée sur un livre hébreux placé sur les genoux. Entre le pouce et l’index est un encrier de cuir noir.
A côté du Saint se trouve un aigle brun. La tête, les ailes et la queue sont plus foncés; le bec et les pattes sont plus pâles que le corps.
Le paysage rappelle complètement les bords de la Meuse : une grève d'un gris sale sépare les eaux verdâtres de la mer de toute une chaîne de collines qui fuient dans un lointain vaporeux.
Une partie de ces collines est entourée de hautes murailles et de tours d'un gris verdâtre.
Dans le haut rocher placé à droite, on aperçoit un tunnel qui semble conduire à l’intérieur des murailles: deux personnes le traversent, deux autres en sortent, et l'on s'occupe à charger un tonneau sur une barquette.
Aux pieds de S. Jean et parmi des coquillages, se trouvent placés des coraux formant les trois lettres V. E. Y.
VOLET GAUCHE.
Le Christ est vêtu d'une tunique grise garnie aux extrémités d'une broderie d'or. Les cheveux, les sourcils, les yeux et la barbe sont d'un brun foncé. La main droite bénit, le bras gauche est replié à la hauteur de la ceinture et soutient la tunique.
Une auréole rayonnante cruciforme entoure la tête.
Sur la tunique vert-foncé de S. Jacques le Majeur se déroule un manteau amaranthe ourlé de fleurons d'or. Son large chapeau gris est chargé d'un cœur, d'une croix ancrée, d'une figurine, de deux bourdons en sautoir et d'une coquille. Il porte un nimbe d'or.
A ses pieds, on voit un bâton de pèlerin de couleur brune, armé d'un grand crochet de fer.
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S. Jacques est assis sur, des rochers grisâtres. La main droite soutient la tête, tandis que la gauche repose sur les genoux. Au premier plan, une végétation d'un vert foncé couvre le sol d'un gris noirâtre.
Derrière les personnages se trouve un monticule d'un brun rougeâtre avec une végétation d'un vert foncé.
Derrière ce monticule, et sur les bords d'un fleuve aux eaux d'un vert d'émeraude à reflets blanchâtres, s'élève un vieux chêne gigantesque au tronc grisâtre.
De l’autre côté des eaux, on aperçoit à droite des montagnes verdâtres, à gauche une île entourée d'une palissade brune. reliée à la terre ferme et à un château féodal gothique par un pont de couleur terre d'ombre. Dans la partie la plus élevée de l’île se trouve un arbre taillé en parasol près d'un banc de couleur brunâtre. On voit aussi deux lièvres, dont l’un est au repos et dont l’autre se sauve vers la palissade. Quatre personnes, dont trois hommes, viennent du pont dans l’île. La première montre l’horizon, la seconde se retourne sur les deux dernières qui causent sur le pont.
Deux cygnes sortent du canal qui sépare l’île de la terre ferme. Dans les trois tableaux, le ciel a un ton verdâtre allant en s'éclaircissant aux extrêmes horizons.
Les nuages blanchâtres sont sans aucune grâce et paraissent être de marbre, comme dans le triptyque de Gand.
De petits oiseaux traversent le ciel du tableau central.
II
Nous osons affirmer, sans craindre un démenti, qu'aucun peintre de notre ancienne école flamande n'a traité ce sujet dans un aussi grand style.
Comparons notre triptyque à ceux de Rogier van der Weyden, élève de Jean van Eyck, à celui de Jean van der Meere, élève d'Hubert van.Eyck, et à celui de Quintin Metsys.
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Dans ses Descentes de croix de Louvain, de l’Escurial et du Louvre, comme dans ses Sept Sacrements du Musée d'Anvers, Rogier van der Weyden a divisé l’action: le côté gauche de ses trois tableaux et de son dessin nous montre la Ste Vierge évanouie, s'affaissant sur le sol, se détournant du corps de son fils, et soutenue par S. Jean et des saintes femmes.
Les expressions sont violentes et vulgaires: le Christ, long et maigre, a le visage osseux et trapu et la bouche contractée par la douleur, la Madeleine se tord dans l’attitude la plus bizarre, et Salomé détourne la tête en sanglotant et en se comprimant la poitrine.
Les draperies sont lourdes, disgracieuses, surabondantes. La couleur est sombre et terne.
Le fond des Descentes de croix de Louvain et de l’Escurial est d'or strié: ce qui découpe les figures et donne de la dureté à l’ensemble.
Le Christ en croix de Jean van der Meere, qui se trouve dans la chapelle S. Gilles de la cathédrale de Gand, présente le même défaut d'unité: la Vierge s'évanouit dans les bras de deux saintes femmes, un groupe de cavaliers cause sans prêter attention à l’action principale, le Christ et les deux larrons manquent de dessin et d'expression. Les draperies ondoient en flots démesurés autour des personnages. La couleur est d'une pâleur surprenante. Le paysage seul rappelle le pinceau des van Eyck.
Quintin Metsvs, dans son Ensevelissement du Christ, admet aussi des actions multiples : au second plan, un vieillard et une femme nettoient le saint Sépulcre; plus loin, on aperçoit deux hommes assis sur un rocher; au dernier plan, des femmes recueillent le sang répandu au pied de la croix.
Dans le groupe principal, le personnage qui porte la couronne d'épines cesse de prêter attention à la scène pour regarder dans l’espace.
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Les expressions violentes sont reproduites ne varietur : la Ste Vierge et Salomé expriment leur douleur en soulevant les bras, en joignant les mains et en penchant la tête sur l’épaule gauche.
Le Christ n'a pas même une beauté vulgaire. Sa tête est, de toutes celles du tableau, celle qui a le moins de caractère : elle offre une face maigre, allongée, effrayante, terminée par une barbe ignoble. On vient vénérer l’Homme-Dieu, et son image n'inspire que le dégoût !
Dans toute cette composition, les détails sont si multipliés et si prononcés qu'ils fixent le regard au détriment de l’action principale.
Dans notre triptyque, au contraire, tout est grand, tout est simple, tout tend à l’unité.
Il n'y a aucune action secondaire, il n'y a aucune figure inutile, il n'y a pas cette multiplicité absorbante d'accessoires. Les expressions sont naturelles, sans grimace; les draperies du panneau central sont nobles et moelleuses.
Le Christ supplicié a une véritable beauté virile, et l’on sent que la mort n'a pas remporté sur lui une victoire définitive: nous n'avons rencontré dans aucun tableau du XVème siècle une tète de Christ aussi remarquable.
Les plans sont vastes et éclairés par de belles masses de lumières et d'ombres; les détails sont traités de manière à attirer l’attention sur l'action principale. Tout l’ensemble donne au spectateur cette impression d'unité, de vérité et de grandeur calme que l’on éprouve en face des productions du génie.
l’examen de l’Adoration de l’Agneau des frères van Eyck fait retrouver dans ces artistes les qualités réunies de la peinture idéaliste et de la peinture réaliste.
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Comme la première, leur œuvre nous offre dans son ensemble la grandeur du sujet, et dans certaines de ses parties, par exemple, dans les figures de Dieu le Père, de la Ste Vierge et de S.Jean-Baptiste, la noblesse des types, la grâce de l’expression, la majesté des poses, et l’élégance des draperies.
Comme la seconde, leur pinceau observe et retrace fidèlement l’aspect ordinaire des choses en charmant par l’éclat des couleurs, par les tons chauds et brillants de la lumière, et par l’harmonie de l’ensemble.
Il est facile de constater qu'aucun des élèves des célèbres frères n'a possédé au même degré ces diverses qualités: on peut le deviner par ce que nous avons dit de Rogier van der Weyden et de Jean van der Meere.
Si donc nous retrouvons dans notre triptyque toutes les notes énoncées, - et nous allons les y faire voir, - n'aurons-nous pas produit un argument solide en faveur de notre attribution ?
Comme force de conception, le triptyque d'Enghien est égal, nous dirons même, supérieur à celui de Gand.
Ce dernier offre certaines obscurités et certaines disproportions : que font dans l’Adoration de l’Agneau Dieu le Père, la Ste Vierge et S. Jean-Baptiste? On ne le saisit pas très bien.
Et l’œil se prêle moins rapidement encore que l’esprit à réunir ces trois personnages gigantesques aux petites figures du panneau central !
De même, le spectateur ne comprend pas immédiatement pourquoi les Anges musiciens et Ste Cécile jouant de l’orgue ont cette importance et occupent cette place.
Ces défauts sont dus évidemment aux proportions inusitées de ce chef-d'œuvre et non pas au manque de génie de ses auteurs.
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Dans notre triptyque, les frères van Eyck ont embrassé d'un seul coup-d'œil toute l’immensité de leur sujet à travers le temps et à travers l’espace, et le spectateur les suit sans effort dès le premier regard jeté sur leur œuvre.
Tout est ramené à l’unité avec une rare intelligence de la composition; toutes les scènes se passent au même moment de la journée; les fonds des trois panneaux se relient presque par leurs grandes lignes; personnages et accessoires occupent leur véritable place; et il n'y a aucun détail injustifiable.
Quant à la noblesse des types, peut-on voir rien de plus noble que le Christ du panneau central, le vieillard Nicodème et les trois saintes femmes ?
La vérité et la grâce de l’expression nous charment dans toutes les saintes femmes du triptyque.
La majesté des poses, ne l’admire-t-on pas dans le corps inanimé du Christ, dans Nicodème, dans Joseph d'Arimathie? Et quelles draperies élégantes, nobles et moelleuses que celles du panneau central !
l’esprit observateur des van Eyck ne se retrouve-t-il pas dans ces arbres, ces fougères, ces genêts, ces plantains si fidèlement reproduits, et ne reconnaît-on pas le pinceau dans cet ensemble brillant, si harmonieusement pourpré ?
Après avoir parlé de la profondeur de pensée, de la grâce et de l’éclat de notre triptyque, nous sommes forcés d'entretenir le lecteur d'un sujet un peu aride, formant notre second argument.
III
On distingue dans un tableau six parties : l’invention, la composition, le dessin, le clair-obscur, la couleur, et l’expression. Nous allons les examiner successivement dans notre triptyque.
l’invention est cet effort intellectuel par lequel l’artiste conçoit son sujet et ramène à l’unité chacune de ses parties.
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Cette unité forme l’intérêt le plus puissant de son ouvrage: si elle est parfaite, elle se rapproche du sublime, qui n'est qu'un seul élan de l’esprit.
Il suffit d'un coup-d'œil sur notre triptyque pour y voir la force du génie de ses auteurs: un mot résume l’œuvre entière et se trouve répété dans chaque partie. l’Annonciation, l’Ensevelissement du Christ, la Mission de S. Jacques, la Vision de S. Jean, qu'est-ce autre chose que la Rédemption commencée, accomplie et continuée à travers l’espace et à travers les siècles ?
Si l’idée est une, son expression est ramenée le plus possible à l’unité: les figures sont toutes justifiées et se trouvent toutes placées aux premiers plans; les accessoires restent dans leur rôle et concourent à augmenter l’impression dans l’âme du spectateur.
La composition, - le totum componere d'Horace, - s'entend de cet autre effort intellectuel qui groupe les acteurs et Ies accessoires de manière à en former un seul, tout. Elle se divise en pittoresque et en poétique. Les van Eyck, qui excellaient dans les deux, ont réussi; par la première, a rendre ces groupes si vraisemblables, ces attitudes si naturelles, ces accessoires si bien disposés; et par la seconde, à nuancer selon les différences de condition; d'âge et de sexe; l’intérêt que prend à l’événement chacun de ses acteurs.
Si la dernière épreuve du talent est d'exceller dans l’invention et de se former à la composition, il ne faut pas faire une longue étude de notre triptyque pour s'apercevoir que le génie d'un maître l’a marqué de son sceau: ces deux qualités maîtresses y apparaissent dans tout leur éclat.
Les van Eyck savaient aussi équilibrer leurs compositions.
"On entend par équilibre, dit le peintre Mengs, l’art de distribuer les objets avec discernement, de manière qu'une partie du tableau ne reste pas libre tandis que l’autre est trop chargée, mais il faut que cette distribution paraisse naturelle et ne soit jamais affectée."
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Enfin, les célèbres frères faisaient pyramider leurs compositions dans son ensemble et dans chaque groupe. Qu'on jette un coup d'œil sur le triptyque d'Enghien, et l’on y trouvera de suite cet équilibre et cette forme pyramidale.
Le dessin n'est pas toujours égal dans les productions des van Eyck: comparez, dans le triptyque de Gand, Dieu le Père du tableau central supérieur aux anachorètes ou aux pèlerins du vantail gauche, et dans celui d'Enghien, Nicodème du panneau central au Christ du volet droit, et vous serez persuadé que deux mains différentes ont travaillé au tableau de Gand comme à celui d'Enghien.
On doit dire cependant à la louange du moins habile de nos artistes que, malgré la reproduction peu correcte ou peu savante des formes, il réussissait à exprimer les mouvements de l’âme.
Le clair-obscur est l’effet résultant de toutes les lumières, de toutes les ombres, et de tous les reflets du tableau. Cette partie était l’une de celles dans lesquelles excellaient les deux frères: l’œil se plaît à admirer la distribution et l’accord de leurs masses de lumières et d'ombres; et l’esprit, charmé de n'y pas trouver d'incohérence, prend une large part à cette satisfaction du sens de la vue.
La couleur des van Eyck est chaude, intense, transparente, pourprée, harmonieuse, et pour tout dire en un mot, vraiment belle. Aucun peintre de notre ancienne école n'a possédé, comme eux, l’art d'assombrir et de mélanger ses couleurs. Le premier moyen accroît leur vigueur et les rapproche par une commune obscurité; le second achève de les unir en les alliant toujours sur tous les points dans des proportions diverses. De là, cette intensité peu commune et cette douceur si flatteuse.
Bien loin d'exprimer avec exagération les mouvements, les affections et les passions de leurs personnages, nos artistes savaient que tout ce qui passe la ligne du vrai est un contre-sens. Ils arrivaient à la justesse d'expression. Par l’élimination des choses inutiles et par la parfaite observation des convenances.
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De la sorte, "gens et choses sont toujours là pour une fin", comme dit le peintre Millet, la passion ne dégénère pas en grimace et les objets inanimés ne manquent jamais de caractère.
Ils avaient soin aussi de graduer leurs expressions, non seulement en les variant - (la variété n'est que la dissemblance), - mais en les faisant succéder dans un accord parfait. C'est ce que nous ferons voir en détail pour notre triptyque.
Dans l’ensemble de cette œuvre règne une harmonie charmante qui provient :
- 1º De ce que toutes les parties de la composition tendent à rendre plus sensible ce qu'elle exprime;
- 2º De ce que la disposition des diverses parties concourt à pénétrer plus profondément du sujet l’âme du spectateur;
- 3º De ce que le point de vue est placé de manière que l’ensemble fasse un effet agréable à l’œil;
- 4º De ce que les formes de chaque figure s'accordent entre elles;
- 5º De ce que les effets de lumière sont en rapport avec l’expression du sujet;
- 6º De ce que toutes les lumières sont à l’unisson sur chaque plan et dans chaque masse;
- 7º De ce que l’intensité du coloris des objets représentés est presqu'égale à celle de ces objets dans la nature;
- 8º De ce que les couleurs voisines sont sympathiques et n'ont pas été salies;
- Et 9º, de ce que toutes les parties d'une même figure s'accordent avec le sentiment intérieur dont les peintres la supposent affectée.
Cette analyse rapide et bien imparfaite nous explique déjà pourquoi le triptyque d'Enghien laisse à tous ceux qui l’ont vu des impressions de sympathie: c'est le propre des créations d'un ordre élevé d'inspirer ces sentiments aux âmes intelligentes.
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Avant de passer à l’étude des différentes particularités de notre triptyque, nous allons énumérer les divers tableaux attribués aux van Eyck, en laissant à nos lecteurs le soin de les comparer à l’œuvre que nous étudions.
Suivant une opinion généralement admise jusqu'ici, il ne resterait aucun tableau des van Eyck antérieur à l’année 1420. Mais M. Alfred Michiels croit que cinq morceaux actuellement connus ont précédé l’Adoration de l'Agneau mystique :
- 1º Le triptyque de Dresde. Quelques parties révèlent un sentiment de noblesse ou de grâce idéale que, ne manifeste aucune production isolée de Jean. Le tableau central doit avoir été peint surtout. par Hubert, les volets reportent la pensée vers Jean. Les ailes extérieures représentent l’Annonciation en grisaille.
- 2º Le tableau de Burleigh-House dans le Northamptonshire. (La Vierge portant l’Enfant Jésus qui bénit un chartreux présenté par Ste Barbe.) Avec quel art le peintre a su grouper ces quatre personnages! La Vierge et Ste Barbe ont une attitude gracieuse, le donateur un maintien noble et sévère. Les deux têtes de femmes, charmantes d'expression, ressemblent aux vierges de l’Adoration mystique.
Les contours sont partout fermes sans dureté. Les draperies n'offrent pas les lignes anguleuses de Jean van, Eyck : les plis au contraire ont de la largeur, de la souplesse et de l’élégance. l’heureux choix, la vivacité, l’harmonie des couleurs augmentent le plaisir que cause cette œuvre, et leur effet est rehaussé par d'habiles contrastes. Les chairs ont tout le relief de la nature. La précision du travail dénote une main exercée et atteste cet esprit résolu, ce ferme coup-d'œil des hommes supérieurs qui, en toutes choses, savent prendre un parti et aller droit à leur but (21).
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- 3º Le Jugement dernier de Beaune, poliptyque. Le Christ n'a pas toute la noblesse qu'on aimerait à lui voir. Ses yeux fixes, ses pommettes saillantes, un bas de figure pincé ne correspondent pas au type idéal qu'on se forme du Rédempteur. Sur le dehors des ailes on retrouve encore l’Annonciation en grisaille.
- 4º Le Jugement dernier de Dantzig, triptyque, La figure du Christ a une beauté de lignes, une régularité majestueuse, La Vierge est coiffée d'une mantille byzantine en linge, et un spacieux manteau d'un vert sombre enveloppe son corps et se déploie autour d'elle.
La couleur de la figure de St Michel est si peu épaisse que l’on discerne au travers quelques changements de contour dessinés à la mine de plomb comme si l’artiste n'avait pas d'abord réalisé son idéal. On remarque sur les autres têtes de semblables lignes, des espèces de ratures presque effacées.
Les draperies ont la noblesse, le grand style, les larges plis d'Hubert. van Eyck, sans aucune trace des formes anguleuses qui alourdissent les costumes de Jean. - 5º D'après MM. Michiels, le Dr Waagen, Passavant et Cavalcaselle, on doit y ajouter le Triomphe de l’église sur la Synagogue du Musée de la Santa Trinidad de Madrid.
l’authenticité de ces cinq œuvres n'est pas prouvée : aussi n'y cherchons-nous que subsidiairement des éléments de comparaison.
Pour établir nos arguments sur une base solide, nous nous appuierons toujours sur le triptyque de Gand.
Afin de mettre quelqu'ordre dans notre travail, nous étudierons successivement le procédé matériel, le coloris, les personnages, leurs attitudes, leurs expressions, leurs draperies,les paysages, la signature et les diverses autres particularités.
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Les frères van Eyck traçaient leurs contours à la mine de plomb sur un fond de plâtre. Puis, ils ébauchaient avec une légère couche d'outremer d'un brun chaud, assez transparente pour laisser percer le fond. Ensuite, ils appliquaient leurs couleurs, légères dans les clairs et épaisses dans les ombres, en conservant toujours l’harmonie entre la couleur fondamentale et les couches supérieures.
Ils peignaient d'abord les plans reculés et leur superposaient les figures, comme on peut le voir dans le triptyque d'Enghien où l’on distingue le bras et les plis de la manche de Marie de Cléophas sous le menton, les lèvres et le nez de Nicodème.
Les figures, ils les dessinaient nues et les drapaient ensuite: on distingue ces ratures dans le panneau central, au cou de la sainte Vierge, au front et au cou de S. Jean, au front de Marie Madeleine, dans les cheveux et au cou de Marie de Cléophas ; dans le vantail droit, au cou de N.-S. ; et dans le vantail gauche, à la main et au cou de S. Jean et aux ailes du Dragon.
Le coloris est un important élément d'appréciation. Chaque école a sa couleur différente, basée sur des principes différents; et dans la même école, on ne rencontre pas deux maîtres ayant la même couleur.
Celle des frères van Eyck est inimitable. Pour s'en convaincre, on comparera leur triptyque de Gand aux œuvres de Jean van der Meeren, de Rogier van der Weyden, et des autres peintres de cette époque et de l’époque suivante.
Il suffit même d'examiner le triptyque de Gand dans son état actuel. Dès que les volets sont ouverts, l’on est frappé de la dissemblance de coloris des panneaux originaux et des copies. Malgré tout leur talent, ni Michel Coxcie, ni M. Lagye n'ont réussi à rendre exactement leur modèle.
Les van Eyck, comme le disait Jean Santi, père du Grand Raphaël, dans la Chronique rimée des ducs d'Urbin :
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"Di colorire furno si eccelenti che han superato spesse volte il vero."
Si l’on compare le triptyque d'Enghien à celui de Gand, on est frappé de leur parfaite similitude de coloris ; dans les deux, la couleur; modulée sur une gamme sombre, a une intensité merveilleuse, une profondeur translucide, un éclat surprenant.
l’analyse de cette impression synthétique viendra la confirmer.
Dans les deux triptyques, la lumière principale est admirablement soutenue par des lumières subordonnées et par des masses de demi-teintes.
Tantôt, ces masses sont opposées à un fond obscur ; ce qui les fait briller et étend la lumière; tantôt, elles se détachent sur un fond clair : ce qui produit un contraste frappant.
Les masses d'ombres, tout en offrant beaucoup de détails traités avec précision et largeur, donnent un grand éclat aux demi-teintes.
Dans les deux triptyques, les objets doivent à leurs reflets de prendre le relief commencé par l’artifice des lumières, des demi-teintes et des ombres.
Tous ces effets sont conçus par grandes masses, bien enchaînées et ramenées à une unité pleine de charme.
Dans les deux triptyques, on retrouve le même ton général, les mêmes couleurs et les mêmes nuances, avoisinées de la même manière.
Enfin, dans les deux triptyques, le ton des ombres est le même, plus ou moins visible selon leur force. C'est là un nouvel élément d'appréciation, car chaque maître a son ton d'ombres particulier.
Pas plus que les personnages du tableau de Gand, ceux du triptyque d'Enghien ne sont des beautés idéales, ni ne rappellent l’antique ou l’école romaine, mais ils ont une certaine noblesse dans les figures et une sorte de beauté nationale, digne de plaire.
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l’élévation des idées chrétiennes permet d'arriver à cette beauté sans la suprême régularité des formes, tandis que le matérialisme des idées païennes a besoin de se déguiser sous un masque noble. Essayez de risquer autrement Vénus ou Apollon !
Dans aucun personnage des deux triptyques, on ne retrouve
les cous de taureau ni les nez droits prolongeant sans courbure la ligne du front. Ces formes de la beauté antique sont empruntées aux animaux, et les van Eyck étaient réalistes : voilà, pensons-nous, la cause de ce phénomène.
La courbe qui sépare le nez du front distingue spécialement l’espèce humaine: elle fait donc partie intégrante de sa beauté et ne doit pas être remplacée par les traits des animaux inférieurs. Voilà la justification des peintres brugeois.
Une singularité frappante dans les deux tableaux, c'est la supériorité de la beauté des hommes sur celle des femmes. Nous croyons encore en trouver la cause dans le réalisme des deux frères : expliquons notre pensée.
La beauté féminine a un caractère idéal: elle exige de la sveltesse, de la grâce, de la délicatesse, de l’harmonie, de la douceur, de la noblesse et une rêveuse sentimentalité.
La beauté de l’homme se compose d'éléments plus positifs: ce qui la constitue, ce sont la vigueur des lignes, la puissance de la conformation, une certaine régularité des traits et une dignité expressive.
La première doit se chercher dans le pays des rêves, la seconde se rencontre dans le monde réel, et c'est là surtout que les van Eyck trouvaient leurs personnages.
Dans les deux triptyques, les parties du corps qui seraient restées oisives sont adroitement cachées : nous signalerons dans celui d'Enghien les mains droites de Marie de Cléophas, de S.Jean et de Joseph d'Arimathie, les mains de Marie Madeleine, et tous les pieds, sauf ceux du Christ.
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Dans les deux triptyques, les chairs, d'un rouge brun avec teintes d'un vert bleuâtre dans les ombres, ne sont pas empâtées; toutes les têtes sont légèrement penchées ; les cheveux des femmes sont généralement blonds ou plutôt roux foncé; les barbes grises sont traitées de la même manière; les yeux des personnages des vantaux du triptyque d'Enghien ont le bord des paupières rougeâtre et grimacent pour arriver à l’expression, comme les Anges chantant la gloire divine du tableau de Gand; les mains, les ongles, les larmes sont rendus d'une manière identique; les pieds du Christ du vantail dextre de notre, triptyque sont exactement les mêmes que ceux des anachorètes de Gand.
On remarquera ce Christ complètement nu sous le regard des saintes femmes : à l’époque des van Eyck, la décence pittoresque était moins sévère qu'aujourd'hui, et ce Christ sans voile ne choquait pas plus dans le triptyque d'Enghien qu'Adam et Eve dans celui de Gand.
Loin de chercher, le mouvement, les van Eyck semblaient le fuir: rien de violent, de forcé, de théâtral dans les attitudes!
Dans les deux triptyques, on admire la paix profonde, la gravité byzantine, la piété sincère et la rêveuse douceur de la figure et du maintien.
Ce repos est, en grande partie, le secret du charme mystérieux que nous éprouvons devant ces œuvres: notre pensée se met aisément d'accord avec celle des peintres.
Si l’action était violente, le regard se troublerait, l’intérêt serait partagé, les détails produiraient une véritable confusion, et rien ne nous paraîtrait coordonné.
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Les frères van Eyck ont eu soin aussi de ne pas représenter une action achevée: Nicodème va embaumer, Joseph soutient la tête du Christ qui retomberait si son action cessait, et ainsi de suite. Par ce moyen, ils laissent travailler l’imagination du spectateur et augmentent l’intérêt.
Ils ont su éviter également les répétitions de gestes, de mouvements, de regards: examinez à ce point de vue le tableau d'Enghien comme celui de Gand, et vous y retrouverez cette admirable variété dans l’unité que beaucoup de maîtres, et entre autres Quintin Metsys, n'ont pas toujours connue.
Les van Eyck soignaient tout particulièrement l’expression : aussi, on ne trouvera dans notre triptyque aucune partie qui ne se lie avec le tout, aucune figure qui ne paraisse nécessaire, aucun mouvement qui ne soit relatif à l’action, aucun sentiment qui n'ait aussitôt son écho dans nos âmes.
Pour varier leurs expressions sans contrastes affectés et pour éviter les grimaces et les bassesses, les frères van Eyck établissaient en un seul point le maximum d'intensité des passions et le faisaient rayonner de là vers les extrémités.
Les personnages sont rapprochés de l’objet principal en raison directe de l’intensité de leur douleur: la Vierge-Mère est placée au centre du tableau; après elle, c'est Marie-Madeleine qui est le plus en vue; puis viennent Marie de Cléophas, Marie Salomé, S. Jean, et enfin, Joseph d'Arimathie et Nicodème.
Quelle a du être la douleur de la Ste Vierge en présence de son Fils supplicié ? Cette douleur devait être immobile: son âme était plongée toute entière dans la contemplation de son malheur, sans résistance ni contre la cause, ni contre l’effet. Absorbée par une seule idée, elle devait n'avoir qu'une seule attitude. Elle était indifférente à tout ce qui l’entourait, elle n'entendait pas ce qui se disait, elle ne voyait pas ce qui se passait autour d'elle: rien ne pouvait faire lever ses regards fixés sur le corps de son Fils.
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C'est ainsi que les van Eyck ont compris ce personnage. Ils ont donné à la Ste Vierge une entière immobilité, une sorte de stupeur, un abattement total des forces, la fixité de l’œil, des paupières à peine entr'ouvertes.
Tout en elle s'affaisse: la tête faible et lourde tombe sur l’épaule droite, les jointures sont relâchées, les joues décolorées, et les yeux attachés sur l’objet de sa douleur. Tout le corps même s'y penche et semble succomber à son propre poids.
Les effets de cette passion sur les tendons du corps se remarquent parfaitement dans les mains.
Cette figure prouve à elle seule que nos artistes méritent l’éloge que Pline fait du peintre Aristide: "Animum pinxit et sensus hominis expressit."
La piété étant une bonté qui nous fait souffrir au spectacle du malheur d'autrui, ne peut se rendre que par la réunion de la bonté et de la souffrance. Ne sont-ce pas ces expressions que l’on trouve chez ces saintes femmes, sans aucune affectation, avec une grâce exquise et une gradation parfaite.
Marie-Madeleine partage l’immobilité de la Ste Vierge et de grosses larmes coulent sur ses joues: de toutes les saintes femmes, n'est-ce pas elle qui était le plus attachée à Notre-Seigneur ?
Marie de Cléophas a la force de sécher ses pleurs et d'aider à l’ensevelissement en présentant un vase à parfums.
La douleur de Marie Salomé est plus démonstrative et moins profonde: elle contemple le cadavre du Christ en soulevant les bras et joignant les mains.
Le disciple bien-aimé paraît stupéfié, mais ses yeux remplis de larmes sont plus ouverts que ceux des personnages précédents.
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Nicodème et Joseph d'Arimathie ne pleurent pas et s'occupent de rendre les derniers devoirs avec une tristesse remplie d'affection et de respect.
Les costumes des personnages suivent la même gradation : la Ste ,Vierge est enveloppée dans sa mantille; Marie-Madeleine a caché ses habits de luxe sous un manteau gris; Marie Salomé est plus richement vêtue que Marie de Cléophas; enfin S. Jean est habillé très simplement en comparaison de Nicodème et de Joseph.
Pour mieux juger de la juste gradation de l’expression, isolez, successivement par la pensée tous les personnages: chacun d'eux plaira d'une manière différente parce que chacun a la suprême qualité de l’expression, beauté spirituelle dont le propre est d'agiter les cordes les plus mystérieuses de la nature humaine pou en tirer une suave harmonie.
Le Christ, ce sujet si difficile à rendre parce qu'il faut faire voir la Divinité dans un cadavre, est traité avec un rare bonheur: il n'a pas la maigreur des Christs de Rogier van der Weyden et de Jean van der Meere, et il n'est pas trop mort comme celui de Rubens dans la Descente de croix.
Aucun peintre du XVe siècle, autre que les frères van Eyck n'était capable de concevoir l’Homme-Dieu aussi majestueux dans la. Mort : les œuvres exposées dans nos musées et nos églises en font foi.
Les draperies des van Eyck sont caractéristiques : elles forment la transition entre deux époques.
Avant eux, on ne connaissait que les plis liants et sinueux après eux, on affecta les plis cassés.
Les célèbres frères adoptèrent tantôt les plis larges et soutenus pour les étoffes molles, tantôt les plis raides et brisés pour les étoffes sèches et fermes, mais toujours ils exécutèrent leurs draperies avec délicatesse, leur donnèrent des yeux d'une profondeur remarquable et indiquèrent les méplats presque sans ombre avec un art infini.
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Examinez, dans le triptyque de Gand, le panneau central supérieur et le vantail senestre: vous verrez de suite que le jet des draperies est complètement différent dans ces deux parties de l’œuvre commune. On attribue les plis nobles et purs à Hubert et les plis raides à Jean.
Jetez les yeux sur le triptyque d'Enghien, et vous n'hésiterez pas à reconnaître dans les draperies élégantes et souples du panneau central la main d'Hubert et dans celles des vantaux le pinceau moins flexible de Jean. Nous allons développer quelque peu cette étude, en comparant au tableau de Gand l’extérieur des volets, le panneau central et les vantaux du nôtre.
l’ange de l’Annonciation se retrouve au-dessus de la fontaine de vie du panneau central de Gand: même tunique attachée par un cordon, même capuchon, mêmes ailes.
La Vierge de l'Annonciation a des draperies un peu volumineuses comme les Sibylles de Gand.
On retrouve les plis du manteau de Nicodème dans celui de Dieu le Père, et les autres draperies de l’Ensevelissement du Christ sont traitées comme dans le panneau central et le panneau supérieur de l’Adoration de l’Agneau mystique.
Les draperies du Christ du vantail droit sont les mêmes que celles du dernier anachorète et du dernier pèlerin de l’aile gauche du triptyque de Gand.
Les draperies de la Ste Vierge du panneau central et de S..Jean du vantail gauche sont traitées sans raideur ni brisures comme celles de la Ste Vierge de Gand.
Les étoffes des draperies d'Enghien se retrouvent également dans le panneau central du triptyque de Gand: le brocart du manteau de Joseph d'Arimathie est reproduit sur la mitre d'un évêque placé dans le groupe à senestre, et celui du manteau de Marie Salomé sur le manteau d'un pape placé dans le groupe à dextre; les draperies blanches avec leurs contours durs se retrouvent constamment dans les anges et les vierges martyres les draperies vertes et amaranthes se retrouvent dans celles de Dieu le Père et d'un pape du groupe placé à dextre du panneau central.
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Dans les deux triptyques, les reflets des draperies sont identiques, les ors sont rendus de la même manière et en affectant les mêmes dessins, les perles sont absolument semblables si l’on tient compte de la position différente de la lumière, qui vient de dextre à Enghien et de senestre à Gand.
Enfin dans les deux tableaux, les draperies sont également empâtées et les personnages ont les mêmes proportions.
Le fond de notre triptyque est austère comme il convient à un sujet religieux et douloureux: pour concentrer davantage l’attention du spectateur sur la scène principale, nos artistes ont placé derrière le groupe du premier plan les masses de rochers qui ne s'ouvrent que sur les hautes murailles de Jérusalem.
Dans les deux triptyques, les plantes du premier plan sont les mêmes, les arbres indigènes sont traités de la même manière, et les montagnes affectent la forme conique.
Les rochers du vantail gauche se retrouvent dans ceux du même volet de Gand.
Dans les deux œuvres, le ciel va toujours en s'éclaircissant vers l’horizon; ça et là sont placés de petits nuages blancs qui paraissent peints d'après un marbre plutôt que d'après la nature. La teinte de la partie la plus rapprochée du zénith diffère: cela provient de ce que les deux scènes se passent à des moments différents.
Les van Eyck conservaient la vivacité des couleurs et reproduisaient les détails jusqu'aux troisième et quatrième plans.
Au delà, ils tenaient compte de l’interposition de l’air: les objets ont une forme plus indécise, une couleur plus faible et une lumière plus vague.
Fac-Simile de la signature du triptyque d'Enghien
Gravure de M. Louis xxxxx , membre correspondant du cercle archéologique de cette ville
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La profondeur de la perspective est admirable dans notre triptyque, comme dans celui de Gand et les fabriques du fond ont le même ton dans les deux.
Les lointains du paysage du vantail gauche de notre tableau, comme ceux de l’Adoration de l’Agneau, rappellent les bords de la Meuse : ce sont les sites que les van Eyck avaient contemplé dans leur jeunesse et qu'ils devaient aimer à reproduire en présence de la monotonie des plaines flamandes.
Le triptyque d'Enghien est signé comme celui de Gand. Dans les deux, cette signature se trouve au bas dextre du vantail gauche et figure des branches de corail placées sur le sol.
La planche ci-jointe reproduit la signature du triptyque d'Enghien avec ses ombres.
Nous avons fait prendre à Berlin la copie exacte de la signature sur le volet original: elle concorde en tous points avec celle que nous publions: Michel Coxcie a reproduit le monogramme dans ses formes essentielles en négligeant les ombres.
Derrière les rochers du vantail dextre et sur les bords d'un fleuve, s'élève un vieux chêne dépouillé de feuilles tandis que le reste du paysage a toute sa végétation.
Que signifie cette anomalie dans un ouvrage où tout a sa raison d'être? Nous pensons que I'on peut raisonnablement y voir une signature en rebus :Vieux Chêne ou Alden-Eyck est la patrie des auteurs.
On voit derrière cet arbre uneîle entourée de palissades, reliée à un château-fort par un pont sur Iequel se trouvent une femme et trois hommes de dimensions Iilliputiennes. Qu'est-ce encore, sinon la famille van Eyck à Bruges (22)?
Enfin, on retrouve les traits de Marguerite van Eyck dans la Vierge de l’Annonciation et dans la Marie-Madeleine de l’Ensevelissement. Le front grand, les tempes saillantes, l’orbite de l’œil très plein; tous ces signes de puissance intellectuelle, notre imagination se plairait à les donner à cette femme-artiste si la tradition accréditée dès l’an 1572 ne les lui avait pas conservés.
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A quelle époque a été peint notre triptyque?
Nous pensons, qu'il est antérieur à celui de Gand, pour les deux motifs suivants:
D'abord, certains personnages portent un nimbe d'or. C'est une coiffure très lourde, qui, dans le triptyque de Gand, est remplacée avantageusement par des irradiations.
On voit poindre l’idée de cette modification dans les auréoles de la Ste Vierge et du Christ du panneau central.
En second lieu; notre triptyque mentionne en rebus que les van Eyck habitaient encore Bruges au moment de son exécution, tandis qu'ils avaient quitté cette ville pour entreprendre l’Adoration de l’Agneau.
On peut donc affirmer que notre tableau est antérieur à l’année 1421 (23).
Le compte de 1419 à 1420 mentionne ce qui suit: "Item à Jehan Martin et à son fil pour oster le bach qui stisoit deseure lotel à lospital et pour sauer louvage de carpenterie, si furent le terme de ij jours à iiij s. le jour, sour leur frais monte xvj s. t. » "Pour ij candeler achatés à Bruxelles pour mettre sour lotel à lospital, x s. vj d." "A Jehan de Wittvelt pour une verière à la cappelle de lospital et une petite verière contenant les deux xxxiiij pies, au fu er de iij s. vj d. le piet, monte à xix , l. t." Notre triptyque aura donc été donné à l’hôpital à titre gratuit; ce qui était à supposer.
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Nous livrons à l’appréciation de nos collègues ces pages écrites avec une conviction désintéressée : nous serons heureux s'ils jugent qu'elles ont pu contribuer a faire connaître une œuvre ignorée de notre art national.
JULES BOSMANS.